Le jeu vidéo a-t-il besoin de syndicats ? - Asgard.gg

Le jeu vidéo a-t-il besoin de syndicats ?

Voilà une cinquantaine d’années que l’industrie du jeu vidéo se développe. En 2017 encore, le secteur affichait d’après le S.E.L.L (Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs) une croissance de 18%. Cette croissance continue dont a bénéficié le jeu vidéo depuis un certain nombre d’années participe à l’image très positive renvoyée par l’industrie. Une image positive sans doute liée également au fait qu’il s’agisse d’une industrie du divertissement. L’image du produit peut alors conditionner l’image qu’on se fait de la production. Les espaces de production peuvent être imaginés comme légers et émancipés des problématiques salariales classiques car le jeu est un lieu où l’on s’émancipe des contraintes du « réel ». Cela est renforcé par le fait que la plupart des travailleurs du secteur sont animés d’une réelle passion à l’égard de leur production.

Syndicat : Les employés d'Eden games en grève

Les employés d’Eden Games en grève

Cependant depuis quelques temps, un certain nombre d’événements comme les enquêtes croisées de Médiapart, Le Monde et Canard PC qui dénonçaient notamment chez Quantic Dream des infractions au code du travail, ou la grève des travailleurs d’Eugen Systems, ou encore d’Eden Games, dévoilent un aspect de la production de cette industrie bien moins reluisant.

Un syndicat de travailleurs : pourquoi ?

Ces situations de travail ont poussé certains travailleurs du jeu vidéo à s’organiser en syndicats, notamment en France avec le jeune STJV (Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo).

Cependant, en France existait déjà depuis 2008 le SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo) qui affiche encore sur son site l’ambition de « représenter les entreprises et les professionnels« . Malgré cette ambition, on peut constater, notamment en voyant son conseil d’administration composé quasi-exclusivement des P.D.G des plus grands studios français, que ce syndicat représente surtout le patronat de l’industrie. Ce syndicat est rapidement devenu, comme il l’indique lui-même « l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics« . Les principales actions de ce syndicat consistent alors en demande de crédits d’impôts pour l’industrie, et autres actions ayant pour but de promouvoir l’industrie, mais il est peu, ou pas, fait mention des conditions de travail des graphistes, programmeurs, animateurs, etc. du secteur et pour cause, ils ne sont pas réellement représentés à l’intérieur même du syndicat.

Syndicat : snjv Logo

Améliorer les conditions de travail

C’est donc pour pallier cette non-représentation que le STJV s’est formé dans le but d’améliorer les conditions de travail, et ce parfois en prenant position contre le patronat de l’industrie : « Les intérêts des propriétaires peuvent parfois coïncider avec les nôtres, il serait naïf et dangereux de confondre les deux. » écrit le syndicat sur son site.

La culture de ce syndicat est largement autogestionnaire comme l’indique la phrase suivante : « Nous défendons la démocratie directe et l’autonomie des travailleurs et des travailleuses, que nous considérons comme des personnes politiquement majeures. ».

Leurs principales actions consistent à soutenir les travailleurs dans leur grève comme ce fut le cas lors de la grève des salariés d’Eugen System, ou encore en donnant des outils pour informer les travailleurs et travailleuses sur leurs droits comme avec leur guide sur la convention collective SYNTEC.

Cependant, malgré la volonté de représentativité, on constate une surreprésentation de programmeurs, un membre explique cette surreprésentation dans une interview donnée à Gamekult : « Les graphistes, les game designers sont plus fragiles au sein des entreprises : moins bien payés, ils ont aussi tendance à rester moins longtemps en poste, pour des contrats plus courts. Ils ont donc beaucoup plus peur des conséquences d’un éventuel engagement syndical ».

Syndicat : Jason Scheier et son livre Du sang, des larmes et de pixels

Jason Scheier et son livre « Du sang, des larmes et des pixels »

Il s’agit évidemment de prises de position assez inédites dans l’industrie. Positions appuyées par l’émergence de discours nouveaux. Ainsi Jason Scheier, auteur de Du sang, des larmes et des pixels, affirme que l’industrie « repose trop sur un management abusif, des surcharges de travail« .  Lian Young un artiste à la fois architecte, enseignant, performeur et réalisateur peut maintenant décrire son projet Renderlands dans une interview au magazine IMMERSION comme un film où lui et son équipe ont tenté « d’imaginer un de ces nouveaux prolétaires aliénés par son travail » en parlant d’un modélisateur 3D sans être repris. On voit donc qu’un nouveau regard émerge sur la production de jeux vidéo.

Crispation des discours

Il est à noter que l’intrusion de ce vocabulaire marxiste pour analyser l’industrie provoque des réactions de rejet assez fortes. Ainsi, Lévan Sardjevéladzé (président du SNJV) dira : « La quasi-totalité des créateurs indépendants que j’ai pu rencontrer, aussi bien patrons que salariés, ont été assez étonnés de cette rhétorique paléo-marxiste qui semble totalement déconnectée du réel. »

En effet, les positions du STJV proviennent de leur positionnement autogestionnaire qui naturellement est liée à l’histoire du mouvement ouvrier. Mais cette filiation leur est reprochée : « À l’origine, les syndicats ont été créés pour protéger les travailleurs peu payés, non ? Ces gars-là ne sont pas des travailleurs peu payés, ce sont des professionnels extrêmement qualifiés. » affirme Marcin Iwinski cofondateur de CD Projekt Red, qui plus loin justifie des conditions de travail dures par la passion des employés : « C’est vraiment très, très dur, et les gens qui décident de faire carrière dans ce business doivent régulièrement faire beaucoup de sacrifices ».

Syndicat : STJV et anarchisme

Le drapeau du STJV à côté d’un drapeau Alternative Libertaire en manifestation (5 mai 2018)

Le député Français Sébastien Leclerc a même interpellé la ministre du travail en parlant du syndicat comme d’un « parti anarchiste« , à l’occasion de la grève d’Eugen Systems en déplorant « l’impact que ces mouvements ont sur l’activité de l’entreprise Eugen Systems ». Il est utile de préciser que l’épouse du dirigeant d’Eugen Systems, Virginie Le Dressay, conseillère du Calvados était l’un de ses soutiens lors de sa campagne aux législatives. Sébastien Leclerc est donc suspecté de conflit d’intérêts lors de sa déclaration.

Conclusion

On le voit, l’implantation d’un syndicat des travailleurs dans le jeu vidéo ne se fait pas sans opposition. Prendre le parti des travailleurs contre la direction transmet par construction une vision de la condition salariale qu’on n’avait jusque là peu portée sur l’industrie du jeu vidéo. Il reste que ce mouvement ne se cantonne pas à la France puisque tout récemment (à l’initiative du syndicat français) est né le Game Workers Unite International ayant pour but de lier les travailleurs militant pour de meilleures conditions de travail dans l’industrie à travers le monde.

Article écrit par Ravengar le 13.07.2018

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