La micro-transaction est-elle la mort du jeu ? - Asgard.gg

La micro-transaction est-elle la mort du jeu ?

En novembre 2017 Battlefront II faisait parler de lui et de son système de micro-transaction en provoquant le mécontentement des joueurs. Plus récemment, WBgames s’est trouvé contraint de retirer son système de micro-transaction : « le marché » de  L’Ombre de la Guerre. Pour justifier cette décision WBgames affirme dans son communiqué que cette décision serait due à ce que : « acheter des Orcs sur le marché […]risque de saboter le cœur de notre jeu ». Le message adressé au joueur pour les informer de la mise à jour, lui, met l’accent sur le rôle qu’a joué « l’écoute de la communauté », nous informant ainsi, sur l’hostilité du public face à ce système. À partir de ces deux exemples on peut se demander quelle est la raison du mouvement de rejet de la part du public face aux micro-transactions. Et si les micro-transactions nuisaient à l’essence du jeu ?

 

micro-transaction Roger Caillois

Roger Caillois

Pour répondre à cette question il faut d’abord s’intéresser à ce qu’est un jeu, sa définition. Il me semble que, encore aujourd’hui, celui qui a le mieux défini le jeu est Roger Caillois dans son livre Les jeux et les hommes publié en 1958. Dans cet ouvrage, Caillois dégage 6 caractéristiques inhérentes au jeu :

  • Liberté : le jeu est un acte volontaire.
  • Séparation des autres activités humaines : le jeu est circonscrit à un espace délimité dans le temps et l’espace.
  • Incertitude : son dénouement n’est pas connu à l’avance.
  • Gratuité : le jeu est une activité non marchande.
  • Régulée : le jeu est régulé par un système assurant sa cohérence et sa constance.
  • Fiction : le jeu se déroule dans un contexte fictif voire abstrait.

Examinons donc à partir de cette définition quelles seraient les atteintes portées à ces caractéristiques par les systèmes de micro-transaction.

 

 

 

 

 

La Gratuité du Gameplay

Il me semble d’abord nécessaire de revenir sur le critère de gratuité. Il faut ici préciser exactement, dans ce qui compose le jeu, ce qui doit être gratuit.

Premièrement, il ne peut s’agir du support matériel ou logiciel du jeu puisque celui-ci doit obligatoirement être acquis par le/les joueurs et ce à l’occasion d’un échange marchand (que ce soit un ballon de foot ou un jeu vidéo). C’est pourquoi Roger Caillois ne parle pas d’objet gratuit mais « d’activité  » gratuite.

Là encore, il doit être précisé ce que l’on entend par activité puisque le premier réflexe serait de comprendre l’activité comme pratique. Cependant, comme le précise Roger Caillois, en réalité, quand la pratique ludique devient rémunérée (c’est le cas pour les joueurs professionnels), le statut de « joueurs » des pratiquants est bien remis en question puisque ceux-ci pratiquent maintenant une profession. Cependant « la nature de la compétition n’est guère modifiée si les athlètes […] sont des professionnels qui jouent contre un salaire et non des amateurs qui n’attendent que le plaisir. La différence n’atteint qu’eux ».

micro-transaction Exemple marchéSi la gratuité ne concerne ni le support ni la pratique, c’est que Caillois nous parle de l’activité se déroulant à l’intérieur même du jeu, en réalité il nous parle déjà de ce qu’on appelle aujourd’hui le gameplay.

En résumé, si je suis un joueur d’échecs professionnel et que pour jouer le plateau sur lequel je joue a dû être acheté, il reste que pour faire un coup et déplacer mes pions, c’est-à-dire éprouver le gameplay du jeu d’échecs, aucune contrepartie n’est demandée.

C’est bien cette gratuité du gameplay que viennent remettre en question les micro-transactions de Battlefront II et l’Ombre de la Guerre. Les ventes d’Orcs de l’Ombre de la Guerre étaient en réalité la vente d’une boucle de gameplay ou plutôt de sa suppression. La micro-transaction donnant ainsi au joueur payant un avantage certain.

 

Cependant les joueurs payant jouent-ils encore ?  On peut se poser la question, puisque ce qui devait être obtenu par des actions de jeu par le gameplay est désormais acheté purement et simplement, on voit ici que l’action ludique qui par définition est gratuite est transformée en acte de consommation marchand, ou du moins le défi proposé par le jeu en est grandement simplifié par cet acte de consommation.

C’est sans doute en cela que l’intrusion des micro-transactions est vécue par les joueurs comme une violence car ce système ne va pas seulement à l’encontre du « cœur de jeu » de l’Ombre de la Guerre » comme nous le dit WBgames, mais à l’encontre du cœur même du concept de jeu en tant qu’activité gratuite.

 

 Micro-transactions centrales et périphériques

À ce stade de la réflexion on pourrait me rétorquer que certaines micro-transactions sont très biens digérées par le public, notamment celles qui concernent les transactions à but cosmétique (skins etc…).

Le premier réflexe serait alors de répondre que puisqu’il s’agit seulement de cosmétique cela ne fait pas réellement partie du gameplay et n’atteint donc pas l’essence du jeu. Cependant, ne pas appréhender le fait de pouvoir se mettre en scène de différentes façons à travers son avatar comme du gameplay est selon moi une erreur.

En effet, si on s’en réfère une fois de plus à Roger Caillois et à sa classification des jeux il existe 4 types de jeux à distinguer :

  • Agôn : reposant sur un défi lancé au joueur.
  • Alea : reposant sur la chance.
  • Mimicry : reposant sur la mise en scène des joueurs.
  • Ilinx : reposant sur des effets physiques de vertige.

 

On peut dès lors considérer la vente de skins comme une vente de gameplay de type Mimicry. Pourquoi alors ces ventes sont-elles mieux vues du public ? Cela est sans doute dû au fait que les jeux pratiquant ce genre de transaction ne sont en fait pas basés sur la Mimicry mais bien plus souvent sur l’Agôn qui est le type de jeu le plus répandu dans le jeu vidéo. Si on prend pour exemple Overwatch, les skins sont vendus comme des « plus » n’ayant pas d’influence sur le « vrai » jeu, la customisation des avatars est alors un jeu de Mimicry périphérique au jeu d’Agôn central.

Au contraire, si un jeu vend des parties de son gameplay central, il sera alors gratifié du terme péjoratif « pay to win » ou de manière plus édulcorée « pay to fast ».

micro-transaction exemple skin

Les joueurs semblent alors accepter les micro-transactions d’un jeu périphérique qui devient finalement un lieu dédié à la consommation marchande tant le jeu central reste immaculé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’égalité dans la souffrance

La réaction de rejet du public face à la vente de briques de gameplay de type Agôn est sans doute également à l’atteinte portée, et notamment pour les jeux multijoueurs, à l’égalité des joueurs face au défi qu’on pourrait ériger en caractéristique de l’Agôn.

 

En effet, la compétition par le jeu est un moment où chaque joueur doit « souffrir » (le mot Agôn est pris du grec ancien et signifie souffrance) devant le même défi. On peut constater que même les jeux reposant sur un gameplay asymétrique doivent veiller à avoir un équilibrage qui mette à égalité les joueurs.

Si la notion d’égalité est si fondamentale dans le jeu de type Agôn, c’est que sa disparition vient ébranler une autre des 6 caractéristiques du jeu : celle d’incertitude. Pour qu’un jeu reste jeu, l’issue de la partie doit être incertain. Or, tous les avantages qui pourront êtres vendus facilitant les défis pour les joueurs payant en introduisant de l’inégalité entre les joueurs viendront amoindrir voire effacer le critère d’incertitude.

micro-transaction map lol

La carte de League of Legends illustre bien le principe d’égalité

 

Il semble donc que le rejet des micro-transactions par les joueurs soit dû au fait que ce type de pratique remet en cause notre conception du jeu en s’en prenant au critère de gratuité du gameplay et, lorsqu’il s’agit de gameplay de type Agôn, également au critère d’incertitude . Il devient alors logique que les réactions des joueurs face aux micro-transactions de Battlefront II ou l’Ombre de la Guerre aient été plus violentes que celles suscitées par un jeu comme Overwatch. Dans Overwatch, les micro-transactions se fixant sur un gameplay de type Mimicry, périphérique au cœur du jeu basé sur l’Agôn, il ne remet pas en cause le principe d’incertitude du jeu.

Il apparaît que la peur qu’éprouvent les joueurs face à l’extension de la sphère de la micro-transaction, qui s’étend de plus en plus jusqu’à mutation du jeu en acte de consommation, semble finalement justifiée. Il convient donc de rester vigilant face à ce genre de pratique.

 

Article écrit par Ravengar le 05.06.2018

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